Chers amis,

La parution de ce numéro de Mirabilia est aussi l’occasion de vous communiquer une nouvelle pleine de gravité. Après ce numéro de l’automne 2017, nous interromprons, non sans regrets, l’aventure Mirabilia, dans laquelle vous nous avez accompagnés de votre présence, de votre enthousiasme, de votre parole ou de vos images, soyez-en chaleureusement remerciés !

Même si nous préférons dire, et penser, « interruption » plutôt qu’« arrêt », le motif de cette décision est pluriel. D’une part, comme nombre de revues, nous nous heurtons à des difficultés de diffusion que, faute de temps et de savoir, nous n’arrivons pas à surmonter. D’autre part, les aides et subventions publiques dont nous bénéficiions, même modestes, se sont taries. Il en va de même pour les moyens financiers dont nous disposions. Faut-il renoncer ? Faut-il persévérer, inventer d’autres formes, trouver d’autres voies ? L’avenir nous le dira, puisque notre désir et notre engagement restent intacts et puisque le monde qui nous entoure a plus que jamais besoin de merveilleux.

Le douzième et (provisoirement ?) dernier Mirabilia a pour thème « le silence ». Bien que semblable à un clin d’œil, la coïncidence est fortuite. Il y a longtemps que nous voulions aborder ce sujet. Brou­haha de la ville, brouhaha des médias, brouhaha des routes et même brouhaha au plus intime de chacun dans une existence quotidienne sans répit, le silence apparaît comme un baume autant qu’un manque dans un Occident si friand de « communication » et terriblement bruyant. Un chercheur américain a procédé au relevé des zones de véritable silence sur la planète et a constaté qu’elles étaient de moins en moins nombreuses : le silence, comme l’air que nous respirons, est pollué. Mais nous n’avons pas eu le cœur d’aller les interroger. Nous avons préféré, comme toujours, guetter, pister et débusquer le silence en ses royaumes encore existants et d’autant plus précieux, d’autant plus, peut-être, rayonnants.

L’écrivain et philosophe suisse Max Picard, qui « tend à se rapprocher du poète » selon Gabriel Marcel, ouvre ce numéro avec des extraits de son Monde du silence, si souvent cité et malheureusement aujourd’hui introuvable. Puis vient le bel hommage que Delphine Backer rend à Aubespeyre, qui « impose son silence comme si l’atmosphère, à la manière d’une éponge, absorbait les pensées, ne laissait que l’esquisse ». Marcel Proust aussi ne pouvait être qu’amou­reux du silence, sans lequel l’infinie résonance de ses phrases ne se déploierait pas comme une aria. Mais quelle est justement la place, le rôle du silence dans la musique, et pourquoi cette place est-elle fondamentale, c’est ce que nous explique Laurent Feneyrou à travers l’étude de six œuvres musicales. Vincent Gille évoque le silence de la ville qui sourd des photos de Charles Marville et Gérard Trignac lui fait écho par des vues urbaines intemporelles et fantastiques. Fondamental, observé à toute heure et délibérément choisi, tel est le silence pour le frère de la communauté monastique de la Grande Trappe à Soligny, qui a accepté de nous accorder un entretien. Est-ce un hasard si ce silence aujourd’hui tellement rare a mené Mirabilia sur les chemins d’une spiritualité, en l’occurrence chrétienne ? Après frère Paul, Aurélia Hetzel nous parle du silence de Jésus dans la Bible. Et Anne Guglielmetti retrace la genèse de «l’innomé » dans les natures mortes peintes par Giorgio Morandi, qui témoignent de la force d’une « perception silencieuse » où « prend forme l’image d’un réel vécu de l’intérieur, au plus profond, au plus intime de ses strates secrètes.» Richard Byrd enfin évoque le silence à la fois magique et inquiétant des grands paysages polaires.

Que tous ceux qui, depuis le premier numéro, nous ont aidés et soutenus trouvent ici l’expression de notre vive gratitude, Laurent Billia, Stéphane Capelle, André Chabin, Pascal Hoels, Yannick Keravec, Laurence Maidenbaum, Natacha de la Simone, Delia Sobrino, Laurence Vintejoux et pour ce numéro tout particulièrement, Laurence Posselle.

Chers amis, nous vous disons à bientôt, en espérant que Mirabilia renaîtra vite !

Anne Guglielmetti, Vincent Gille